Clément Giraud nous raconte sa relation avec le sommeil

Clément Giraud nous raconte sa relation avec le sommeil

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots?

Je suis clément Giraud, je suis coureur au large. Ca fait 20ans que je fais de la course. Là je fais du solitaire. La grosse épreuve que j’ai faite récemment, c’est le Vendée Globe en 2020. Ce sont des bateaux assez extrêmes puisque ce sont de très gros bateaux, très physiques. C’est une course assez complexe pour la part sommeil.

 

Comment se passe votre sommeil à bord de votre bateau ?

La solution est complexe car on doit faire des veilles.

Sur une course, on a l’obligation de faire de la veille, c’est-à-dire voir s’il y a une autre embarcation pour ne pas lui rentrer dedans. Ca c’est une obligation que l’on a. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les anglais ont mis du temps à faire du solitaire, c’est que normalement, c’est « moralement » interdit de faire du solitaire car on ne peut pas faire la veille.

Quand on navigue, il y a plusieurs façons d’aborder le problème.  Aujourd’hui, les outils informatiques et la qualité des radars nous aident. La qualité de la précision de la météo nous aide aussi car c’est un facteur très important pour nous. Plusieurs facteurs font que l’exercice de veille va être de plus en plus supporté par des outils. Cela apporte une forme de confiance quand on dort. Dormir quand ça va très vite sachant qu’il y a des alarmes en cas d’événements, c’est quand même pas mal.

Par exemple, si je suis au milieu des cargos sur une ligne maritime, je vais mettre en place des radars permettant de repérer les bateaux. Chaque bateau émet un signal et je le vois sur mon ordinateur. Moi aussi, j’émets un signal qui donne la vitesse et la direction.

D’ailleurs, en réel, je vois 10% des bateaux que je vois dans l’ordinateur. Tous les bateaux, notamment de plaisance ne sont pas équipés de ce  genre de radars. Sur Imoca, nous avons tous des radars.

Arrivez-vous à avoir un sommeil de qualité à bord de votre bateau ?

En général, c’est le danger qui va prédéterminer la qualité du sommeil. Il y a deux catégories de sommeil que moi je mets en place, c’est le 13-15 minutes qui permet de rebooster la machine quand on en peut plus. Ou parfois, on sait que ça va bouger, donc on cumule un peu de sommeil. Il y a d’autres phases qui vont durer entre 30 minutes et une heure.

Dormez-vous plus de une heure consécutivement ?

Sur un Vendée Globe, on peut enchaîner parfois les heures de sommeil. Donc on dort une heure, puis on va sur le pont vérifier les alarmes, que tout se passe bien, que les réglages sont bons, que le bateau est sur le bon cap. En général, ça dure 40 minutes. Les grosses phases d’une heure, j’en ai fait quelques-unes dans le grand sud parce que j’avais le même régime de vent pendant plusieurs heures. Donc au maximum, je dors 5 heures – 5 heures et demie. Les conditions étaient idéales, le vent était calé et le bateau avançait vite.

Comment faites-vous pour dormir dans des creux de 6-8mètres ?

C’est la vitesse qui fait qu’on est serein. Il faut vraiment aller vite. Quand le bateau ralentit, tout devient plus compliqué. Donc, il faut accepter d’aller très vite et anticiper les trucs qui cassent. Parce que, si tu le vois après, ça peut devenir vite dramatique. C’est pour ça qu’on vérifie en permanence sur le pont si rien est en train de frotter, si tout est en place, si les voiles sont pas déchirées. Ces toutes ces petites anticipations qu’il faut parer et c’est ce qui fait que t’as un bon sommeil.

En plus, sur certains bateaux, à forte vitesse, le bruit peut aller jusqu’à 70-80 décibels à cause de la vibration du carbone. Je dors avec des bouchons d’oreilles pour réduire le bruit et le stress. Donc on entend que les gros bruits et les bruits différents de ceux de d’habitude.

 

Comment gérez-vous les Objets Flottants Non-Identifiés (OFNI) ? Est-ce un stress supplémentaire ?

Ça, malheureusement, on ne peut pas y faire un grand-chose. Moi j’avais un système qui s’appelle OSCAR qui est censé détecter les objets dans l’eau mais ça reste de l’intelligence artificielle et il faut encore cumuler de l’information pour que ça devienne très efficace.

Donc le secret c’est la connaissance que j’ai du bateau, mon expérience et la confiance que j’ai dans mon bateau. Tous ces facteurs influent beaucoup sur le sommeil. Connaître son bateau, c’est savoir quand il se dérobe, c’est connaître les bruits qui vont faire qu’on va être réveillé. Il m’est arrivé énormément de fois où je me couche pour 20 minutes et tout d’un coup j’entends un petit bruit qui ne me plaît pas, du coup je me lève, le vent change et la fenêtre de sommeil est passé et on est sur autre chose. Il faut donc arriver à caler les choses au bon moment.

Comment avez-vous préparé votre Vendée Globe par rapport au sommeil ?

Avec mon fournisseur, on a mis au point un lit en accord avec le docteur de Lagiclais. Il travaille depuis 25 ans sur le sommeil. Avec lui, on a mis au point une forme de stratégie. Il m’a enregistré une nuit pourvoir la qualité de mon sommeil, j’ai répondu à un questionnaire pour savoir quel type de dormeur j’étais. On en a déduit ensemble que j’avais deux fenêtres :une  sur 11h30-13heure30, heure solaire et une autre tranche sur le créneau 00h30- 02H 30. C’étaient mes bonnes portes de sommeil. Et si je le pouvais, il était conseillé que je dorme une heure et demie d’affilée sur ces tranches, c'est là que mon sommeil était le plus récupérateur. Bien sûr, je le faisais rarement. En tout cas, c’est qualitatif quand on y arrive.

 

Comment se passe la semaine qui précède le Vendée Globe ?

Alors en 2020, c’était particulier puisque nous étions confinés 10 jours avant. Du coup j’ai bien dormi En plus, j’ai fait tout un travail avec un naturopathe tout au long de l’année. Ce qui fait que je suis arrivé avec un traitement digestif et un traitement pour le calme et le stress.Le but c’est vraiment d‘arriver le plus en forme au départ. Je ne réduis pas mon temps de sommeil avant la course. Le sommeil, quand c’est perdu, c’est perdu ; ce que t’as pas pris, c’est perdu, tu récupères pas. Donc on prend ce qu’on peut prendre pour être le plus en forme possible.

Comment se passe la récupération après un Vendée Globe ?

Je pense que ça dépend beaucoup du rythme social que tu as derrière. Moi j’ai dormi nickel tout de suite. Il faut vraiment s’imaginer que le bateau bouge tout le temps, c’est bruyant tout le temps. Ca ne s’arrête jamais. Avec ou sans vent, il y a toujours du bruit. Donc quand tout ça s’arrête, le corps comprend que tout est terminé, que la ligne d’arrivée a été passée. Il y a une forme de relâchement. Il n’y a plus à faire confiance dans le bateau donc l’esprit se relâche complètement et j’arrive à redormir. J’ai aucun problème vis-à-vis de ça. Dès la première nuit, j’ai très bien dormi.

Avez-vous déjà connu des hallucinations pendant l’une de vos courses ?

Alors moi je n’ai jamais eu d’hallucinations visuelles mas plutôt des hallucinations auditives. Avec la fatigue, j’entends comme une radio qui est allumée au fond d’une maison. On entend un rythme, un machin, mais on ne discerne pas la voix. Pour moi, c’est un indicateur ça. Quand ca me fait ça, je sais que je rentre dans une phase de fatigue et il faut que je prenne des précautions sur les manœuvres pour pas me faire mal.

Ce genre de problèmes est pas très présent sur le Vendée Globe mais plutôt sur des solitaires en Figaro. Un organisme qui dort pas pendant plusieurs dizaines d’heures, rentre dans le risque.

Voyez-vous le sommeil comme une source de plaisir ? Une source de performance ?

Pour moi, le sommeil est un moment plaisir donc quand il y en a, il y en a, quand il n’y en pas, il n’y en a pas,on s’y fait. Ca n’atteint pas mon psychisme. Après, l’avantage c’est que je dors n’importe où donc si j’ai besoin, je sais que je peux dormir 20 minutes et c’est reparti.

Comment se passe le côté social suite à une course ?

C’est sûr que quand on apprend à vivre seul pendant 3 mois et demie, le retour à la maison peut être compliqué. Quand on revient, c’est un truc de fou ! Surtout que moi j’ai deux adolescents donc il faut que je m’occupe d’eux. Ils en ont besoin. Je ne veux pas faire la bêtise de d’autres marins de mal gérer le truc.

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