Entretien Stéphane Le Diraison

Entretien Stéphane Le Diraison

Pourriez-vous vous décrire en quelques mots ?

Je m’appelle Stéphane Le Diraison, j’ai 46 ans, je fais de la course au large depuis un bon nombre d’années. Je suis assez singulier dans la course au large car j’ai un passé en entreprise. J’ai exercé dans une grande entreprise, Bureau Véritas, entre 2008 et 2015. Et à la fin, je m’occupais du département des énergies renouvelables. Pendant toutes ces années, j’avais un emploi du temps aménagé pour aller faire des courses. Quand je revenais, j’étais attendu et il fallait que je montre que j’étais encore dans les rangs de l’entreprise. Puis sur la fin, quand ils ont commencé à me sponsoriser, ça a beaucoup changé puisqu’ils se sont rendus compte que le profil que j’avais permettait de communiquer en interne sur la performance, le dépassement de soi. Je me suis donc intéressé au sommeil à la fois dans l’entreprise et à la fois dans la course au large.

 

Pouvez-vous nous raconter votre parcours en entreprise et comment vous avez réussi à y imposer le sommeil au cœur du management ?

A la base, je suis ingénieur de formation. J’ai travaillé en faisant de la voile en parallèle de ma vie étudiante et de ma vie professionnelle. J’ai toujours navigué avec beaucoup de régularité et d’engagement. J’ai été sponsorisé par mon employeur : Bureau Véritas de 2011 à 2016. Dans ce cadre, j’ai été amené à faire des présentations au conseil de direction du groupe.

Et chaque fois qu’on parle de la course au large, le sommeil est souvent la première question. A une réunion, j’étais assis à côté du président du groupe et on en vient à parler du sommeil. Je l’interroge sur son sommeil et je lui explique qu’il pourrait beaucoup mieux gérer son temps de sommeil en faisant des siestes pendant la journée. J’en suis venu à lui expliquer ce que je faisais. Je lui disais que j’étais obligé de me cacher pour faire des siestes au bureau parce que ce n’était pas admis par les managers. C’est pourtant une source d’efficacité professionnelle. Je lui expliqué que j’appliquais les mêmes règles que celles que je faisais pendant la course au large. Certes, je prenais 15-20 minutes de repos mais derrière, j’étais beaucoup plus efficace. A côté de moi, certains digéraient tout l’après-midi.

Comment avez-vous réussi à convaincre votre patron d’installer des salles de sieste dans votre entreprise ?

Le président du groupe n’était pas sensibilisé à ça, et il a découvert, à travers la course au large qu’il y avait des outils de gestion du sommeil. On pouvait rendre l’entreprise plus efficace. Je lui ai expliqué que je l’appliquais en entreprise et que cela me permettait d’être plus performant. Après la route du Rhum de 2014, le PDG m’a invité dans son bureau puis au comex pour restituer mon expérience. Il était curieux de savoir comment je gérais mon sommeil en mer. Je lui ai parlé des techniques utilisées, pas seulement en mer mais aussi au bureau pour gagner en efficacité professionnelle. Quelques temps plus tard,(et sans doute influencé par notre échange), il a pris la décision de permettre l’utilisation de salles de repos au siège du groupe. Ceux qui avaient envie de se reposer pour faire un break pouvaient officiellement le faire avec l’aval du top management plutôt que de se cacher pour le faire.

Pourquoi selon vous, la sieste est-elle si efficace ?

Cela ne fait aucun doute, c’est un fait avéré, on a un gain d’efficacité professionnelle assez notable avec une sieste. Quelques managers m’embêtaient sur mes pratiques alors qu’eux, ils prenaient un bon steak à midi avec du vin rouge et du fromage. Sans s’en rendre compte, ils avaient 0 productivité l’après-midi parce qu’ils digéraient. C’était vraiment à l’ancienne. Ils font beaucoup d’heures inefficaces.  

Sur les indicateurs de performance que l’on avait au sein de l’entreprise, alors que j’étais au 4/5, j’arrivais à produire un travail sensiblement équivalent à un temps plein grâce à ma gestion du sommeil. En général, je me levais à 5 heures du matin pour travailler sur mon entreprise de course au large ou j’arrivais tôt au bureau. J’avais une efficacité dingue mais en appliquant mes méthodes de travail qui me permettaient, avec les siestes de tenir ce rythme. On m’avait accordé beaucoup de souplesse.

Pensez-vous que notre mode de vie n’est pas en phase avec notre nature et notre sommeil?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la société moderne évolue très vite alors que l’Homme évolue très lentement. Il y a une énorme différence entre ce qu’on nous demande et ce pour quoi on est programmé. On a encore plein de réflexes de chasseur-cueilleur. C’est pour ça qu’on ressent du bien-être quand on court dans la forêt ou quand on mange des cerises dans un arbre.

Parmi ces instincts, il y a le sommeil polyphasique, nos ancêtres dormaient ainsi car c’était un mode de survie. A l’époque, il n’était pas question de dormir 8 heures, sinon on était mangé par un ours ou par un loup ou un autre animal. Au Moyen-Age, c’était également le cas, on dormait en deux temps avec un réveil en pleine nuit. C’est l’arrivée de la lumière électrique qui a apporté de la sécurité permettant de dormir d’une traite.  A l’échelle de l’Homme, c’est donc très récent que nous dormions d’une traite. Nous avons dans notre ADN, le sommeil polyphasique.

D’ailleurs, qui n’a pas eu à l’école la réflexion d’un professeur à 14 heures en sortant de la cantine : « Ce n’est pas l’heure de dormir ! » Je pense que si c’était aujourd’hui, je répondrais à mon professeur : « si monsieur, c’est l’heure de dormir, je viens de manger et votre cours, je ne peux pas le suivre car j’ai juste envie de dormir. » C’est un réflexe qui fait que quand on digère, on consomme de l’énergie et donc on est fatigué. Il y a une perte d’attention. Si l’éducation nationale voulait de l’efficacité et de l’écoute, il faudrait commencer à 14 heures 30 après une sieste. C’est bête mais c’est juste culturel. Mais admettons que demain, on l’adopte, personne ne trouverait ça bizarre.

En France, il y a un vrai problème parce que à un enfant on lui dit : « si tu ne m’écoutes pas, je te mets au lit » C’est la punition. En Asie, on dit aux enfants : « Si tu as été tout bienfait, si tu as été sympa, tu pourras te coucher »

C’est comme ça que vous éduquez vos enfants? (rires)

Exactement, je ne suis pas comme les autres, je les éduque comme les asiatiques et je vais expliquer à leurs profs qu’après le déjeuner, il faut faire un temps calme. Je passe pour un extraterrestre mais ce n’est pas grave. De par mon expérience, certains écoutent.

La gestion du sommeil est apparu il y a combien de temps ?

En 1956, je crois, un médecin s’est intéressé au sommeil. Avant, on ne connaissait rien dessus. Ce médecin a décidé d’étudier le sommeil car il observait son chat. Par moment, il avait l’impression que son chat était mort , il avait beau lui tirer la queue, il ne bougeait pas et par intermittence, il bougeait ses pattes comme s’il était en activité. Et c’est là qu’il s’est rendu compte que ça revenait de façon régulière. Il a donc émis l’hypothèse de cycles.

Michel Jouvet découvre le sommeil paradoxal en 1959

 

En quoi consiste le sommeil polyphasique ?

Comme son nom l’indique, le sommeil polyphasique consiste à dormir par phases. Et dans une phase il y a deux phases très importantes :le sommeil lent et profond et le sommeil paradoxale. Dans les premiers cycles, les phases de sommeil lent profond sont importantes en début de nuit. C’est là qu’on va réparer les muscles, les articulations etc. C’est là que les adolescents grandissent. Si on est réveillé pendant cette période, on est complètement azimuté.

On termine par du sommeil paradoxal où le cerveau classe ses idées. Au fur et à mesure des cycles de la nuit, le sommeil paradoxal est de plus en plus important. Sur les derniers cycles, on va avoir 75% de sommeil paradoxal et 25% de sommeil lent-profond, à l’inverse du début de la nuit. C’est la raison pour laquelle, quand on se réveille, on est dans un rêve. C’est aussi cela qui fait que le sommeil est moins difficile quand on se réveille.

Ce qui distingue un grand dormeur d’un petit dormeur, ce sont les derniers cycles de sommeil avec notamment du sommeil paradoxal. On ne sait pas trop pourquoi mais les grands dormeurs sont aussi des grands rêveurs. Ils ont besoin de plus de sommeil paradoxal.

Les différentes phases de sommeil

Comment mettez-vous le sommeil au cœur de la performance ?

Pour être performant, il faut qu’un médecin vienne caler nos cycles à nous. Individuellement, nous avons un mode de fonctionnement différent. Les cycles peuvent être de 80, 90, 100 minutes, cela dépend. Et il ya des moments dans la journée, où il y a des portes du sommeil. C’est-à-dire que de manière physiologique, le sommeil sera plus propice car il aura été programmé pour se reposer à ce moment précis. Cela nous ramène à nos ancêtres.

C’est cela qu’on renie complètement dans notre monde moderne. Aujourd’hui, on doit se lever le matin en pleine forme et ne rien lâcher jusqu’à la fin de la journée comme un vrai businessman. Mais c’est une énorme connerie. C’est un déni de notre biologie.

Pourriez-vous nous raconter la façon dont vous analysé votre sommeil ?

Alors moi je l’ai fait de façon extrêmement précise. J’ai été suivi par un médecin du sommeil qui a procédé à des enregistrements à mon domicile, puis en mer. Nous sommes allés jusqu’à faire des prélèvements de mélatonine (l’hormone du sommeil), en mer et à terre.

J’ai donc fait une transat’ d’une semaine pour analyser mon sommeil. C’était vraiment riche en conséquence. Grâce à ça, le médecin avait la cartographie de mon sommeil. Je ressortais comme une matrice et il m’a dit: «tes heures prépondérantes, c’est là, là et là» et le but était de mettre le rythme de mon bateau sur le rythme de mon sommeil.

Quelle a été la conséquence de ces nouvelles techniques sur votre sommeil ?

Quand on fait du polyphasique, on peut diviser son sommeil par deux mais cela se fait à la condition d’une organisation rigoureuse qui implique de nombreuses siestes ainsi qu’une bonne condition physique, une alimentation adaptée et des techniques de relaxation. En fait on se rend compte que le sommeil est peu efficace sur le début du sommeil et très peu efficace sur la fin. La première conséquence dans mon travail est que j’ai pu économiser une heure et demie de sommeil grâce à ça et honnêtement, 1,5 heures, c’est quand même beaucoup sur une journée. A la condition d’avoir une sieste par jour.

En période extrême, j’ai même réussi à me dégager deux cycles de sommeil en échange de deux à trois siestes dans la journée. Mais 3 heures versus 40 minutes de sieste, le calcul est vite fait. Gagner deux heures dans une journée, c’est fou ! C’est vraiment une recherche d’efficacité .Donc derrière, on peut faire plus de choses, donc plus de choses variées, et je trouve que c’est vraiment bénéfique.

Est-ce que votre façon de dormir vous demande une hygiène de vie particulière ?

Evidemment, d’abord, cela demande de la préparation mentale, je fais de la méditation. Il faut aussi de la maîtrise de soi, une alimentation au top car si on bouffe des burgers et des frites, ce n’est pas possible. L’alcool est évidemment un ennemi ainsi que le tabac. Il faut aussi une bonne condition physique car si on fait 30 kilos de trop, on fatigue son organisme et on a besoin de plus dormir.

On naît tous avec une base plus ou moins musclée. Mais ceux qui cherchent délibérément à se muscler vont avoir besoin de plus manger et vont avoir besoin de plus dormir, cela va de pair. Nous, les marins, on ne fait jamais de bodybuilding. Moi j’ai un physique de marathonien, je suis très sec, ce qui me permet de ne pas dormir. Je fais 1m84 pour 75 kilos. Les sports que je pratique pour avoir une efficacité maximale sont des sports de fond pour avoir un bon cardio et le bon cardio permet d’avoir une très forte capacité de récupération. Donc je privilégie la nage sur des distances longues et du paddle. Quand on a toutes ces recettes, on est paré pour un Vendée Globe.

A Terre, mon sommeil idéal est précisément 6 heures 40 car j’ai été suivi de près. En mer, je suis capable de diviser par deux. Donc en mer, je peux tenir avec 3 heures ou 3 heures 30 pendant 3 mois.

Est-ce que en divisant votre temps de sommeil par deux, vous pensez que cela peut être néfaste sur le long terme ?

Honnêtement, à la fin de trois mois, j’étais en parfait équilibre. Evidemment, c’est une course donc je me suis poussé à bloc mais si je rajoutais une heure de polyphasique, je pense que je pourrais tenir une vie comme ça. En fait, j’étais frustré de mon sommeil car je dormais moins que le besoin nécessaire et la dépense physique était extrême. Mais quelqu’un de normalement constitué, peut dormir 4 heures par jour avec un rythme de vie équilibré. Par contre, si la porte de sommeil est à 10H, 14 h et 16h, votre vie devient impossible.

Quelles sont votre portes de sommeil ?

Alors pendant la journée, j’étais plutôt sur du 11h, 16h, et19h et après j’étais assez couche-tard donc mes autres portes, étaient 1h, 3h,5h, 7h. Mais imaginons que je fasse ça de retour à Terre (c’est d’ailleurs ce qui s’est passé à mon retour), c’était une vie impossible.

Suite à ce rythme de sommeil en mer, comment s’est passé votre retour à terre ?

On est complètement déphasé. On vit avec plein de journées dans la journée. Donc je me lève, je suis en forme, j’ai un plateau où ça va et après je suis épuisé, et je dois redormir. Au retour, comme j’étais programmé, j’avais besoin de faire de l’activité physique en pleine nuit. Donc vers 2 heures, j’allais souvent me balader car j’étais en pleine forme. Mais si je ratais ma sieste de 16 heures, j’étais complètement épuisé, c’est comme si quelqu’un se couchait à 5 heures du matin.

 

Comment gérez-vous les urgences ? Car elles peuvent sûrement tomber pendant vos portes de sommeil ?

Sur le début et la fin de la course, on dort très peu. Ce n’est pas faisable car on est trop près des côtes, il y a des dangers, des pêcheurs, des cargos etc. Et après il y a des périodes grand sud, grand large où on est capable de positionner les manœuvres un peu avant ou après sa sieste . Mais globalement, on arrive à rentrer dans une routine quotidienne.

Il y a des courses où je savais que le début allait être déterminant pour le classement donc les 3 premiers jours, j’ai dû dormir 60 minutes maximum. J’ai réussi à tenir avec quelques micro siestes. Mais je savais qu’au bout d’un moment, j’allais être fracassé et qu’il allait falloir que je dorme 6 ou 8 heures pur récupérer. Forcément, pendant 6 ou 8 heures, on est plus performant mais j’avais créé un tel écart avec les autres que le bilan était positif. Je sais donc que si je ne dors pas assez, je vais avoir une dette, et si je ne la rembourse pas, je vais m’effondrer. Sur un Vendée Globe, on ne peut pas s’effondrer car c’est la blessure ou l’abandon sinon.

Votre investissement est risqué car si vous dormez aussi peu, votre risque de blessure est énorme ?

Oui et non car sur une période courte, on peut gérer ça. Sur 2-3 jours, on peut se mettre dans le rouge. Il faut s’hydrater à fond et le corps tient très bien quand on est préparé physiquement. Par contre le corps, il faut le respecter et remettre les compteurs à 0 sinon on y arrive pas.

Avez-vous déjà eu des hallucinations visuelles ou auditives ?

Oui j’en ai eu mais maintenant, c’est terminé. C’est quand j’étais jeune et que je me connaissais moins bien. Les petits jeunes qui débarquent, ils ont peut -être plus de vivacité physique mais ils commettent aussi toutes conneries que je commettais avant.

Le truc le plus hallucinant que j’ai eu, c’est que sur une course en solitaire, j’étais persuadé que j’avais un co-équipier à bord. A un moment, je me dis : » c’est toujours moi qui barre, Pierre, il ne barre jamais, j’en ai marre » je me suis mis à parler tout seul et j’ai lâché la barre et je suis parti me coucher.

Après, je me réveille et mon premier réflexe a été de penser que Pierre était tombé à la mer. C’est là que je me suis rendu compte que j’étais complètement farci. Une autre fois, j’avais un  petit bateau de course avec une voile rouge et blanche, elle était affalée et j’avais l’impression de voir le père Noël à l’avant du bateau. Après, ça devient fou car on croise de animaux marins. A un moment, j’ai croisé une baleine et il m’est arrivé de me prendre à partie en me demandant si c’était vrai ou faux. Je me pinçais, je me mettais des claques et là je me rends compte que c’est une vraie. On se met à douter de la réalité.

 

Nous allons maintenant aborder votre projet : Time for Oceans qui est un projet qui vous tient à cœur.

Voyez-vous des impacts de l’Homme quand vous êtes en plein milieu de l’océan ?

L’impact est juste énorme. J’ai commencé à vraiment naviguer il y a une vingtaine d’années et 20 ans, c’est peu à l’échelle du monde. Ce qui s’est passé en si peu de temps est très inquiétant. Si je remonte à quand j’étais petit, il y a 40 ans, on voit un grand nombre de disparitions d’espèces, on voit le réchauffement climatique, les signes sont partout.

La pollution plastique, on la voit près des côtes. Quand on parle d’océan plastique, c’est un ensemble de microparticules sous la surface de l’eau donc on ne le voit pas. C’est encore pire, c’est pour ça que ça finit dans notre sang par ce qu’on boit, ce qu’on mange.

On voit aussi beaucoup de disparitions d’animaux. En 1999,il y a eu du pétrole partout sur les côtes. Il y a eu un vrai carnage avec pleins d’animaux mazoutés. C’était vraiment ignoble. En France, on est pas du tout au point là-dessus. Les américains obligent le pollueur à repeupler la mer, recultiver la flore. En France, ils ont payé 2 milliards et ils ont tout laissé en plan. On a perdu la moitié des fous de bassan, la moitié des huitriers. Tous ces oiseaux ont disparu, c’est pour ça que moi, ça me tient énormément à cœur.

Si on reprenait les routes du Vendée Globe de 1990, ça veut dire qu’aujourd’hui, on traverserait des champs de glace. Donc on voit le dérèglement climatique jusque dans l’océan. Aujourd’hui, on doit passer par des zones pour éviter les icebergs. C’était très différent il y a 25 ans.

Limite d'exclusion Vendée Globe

Au-delà de la pollution, avez-vous plus de difficultés à naviguer aujourd’hui qu’auparavant ?

Ce que j’ai vu entre 2016 et 2020, c’est le dérèglement des systèmes météo. Auparavant, il y avait en gros des courants chauds à l’équateur et des courants froids au niveau des pôles et il y a des anticyclones qui viennent réguler le tout. A titre d’exemple, aujourd’hui, le vent est systématiquement instable avec des systèmes météo hors normes. C’est du grand n’importe quoi. La météo aujourd’hui est super instable. On n’arrive plus à avoir de vent stable.

Il y a 20 ans, pendant mes premières transat’, quand on allait des Canaries vers les Antilles, on faisait la descente. Parfois quelques irrégularités mais rien de bien méchant. Aujourd’hui, on se retrouve dans des situations folles à faire du près là où on s’y attend pas. Par exemple, dans le grand sud, j’ai croisé deux dépressions tropicales et à côté de ça, on a des zones de calme à des endroits inattendus. Moi par exemple, j’étais en T-shirt aux îles Kerguelen alors que ces îles sont peuplées de phoques. Donc à ce moment j’ai eu très chaud et après, près de l’Australie, j’ai eu une tempête cataclysmique. Donc on passe d’extrêmes à l’autre en permanence et ça c’est très effrayant. Il n’y a plus de régulation.

Avez-vous un message à faire passer à la nouvelle génération qui arrive ?

Je pense que la génération à venir a un vrai rôle à jouer et j’essaie de porter ce message du mieux que je peux. Aujourd’hui, les entreprises ne peuvent plus ignorer le paramètre environnemental. Les entreprises, pour garder leurs marges et leurs actionnaires doivent dégager un maximum de bénéfices. D’un autre côté, on leur demande des investissements massifs dans le développement durable. Et les deux, normalement ne vont pas ensemble. Moi, ce que je veux modestement incarner c’est essayer d’allier les deux. Aujourd’hui, la performance doit aussi être environnementale.

Il y a quelques années, des entreprises n’ont pas fait la transition vers le digital et sont mortes, demain, les entreprises qui ne prendront pas en main ce sujet sont vouées à mourir. Il y a plein de boîtes qui sont gérées par des personnes âgées à qui ça ne parle pas du tout et l’enjeu est que la jeune génération prenne la relève par rapport à ça.

J’encourage les jeunes à aller travailler vers des entreprises vertueuses. J’ai débattu il y a quelques mois avec quelqu’un qui ne trouvait pas de travail. Et il a finalement trouvé un travail dans un lobby pétrolier. Je lui ai dit qu’il était en retard par rapport à son temps mais il avait besoin de manger. Il n’a pas apprécié ma remarque.

Quelle est votre prochaine course ?

Là je bâtis un nouveau projet qui va être de bâtir un bateau vertueux qui diminue l’emprunte carbone et utilise des matériaux biosourcés. Je ne dis pas que d’un seul coup, tout va être génial et révolutionnaire mais on va essayer d’atteindre les -30% carbone. C’est possible.

Du coup, la prochaine grande course, c’est le Vendée Globe 2028 car j’ai des contraintes de développement du bateau. Mon prochain bateau du Vendée Globe doit être disponible en 2025, donc mis à l’eau en 2024 donc l’étude commence fin 2023. Dans un an donc. Dans la voile, on est sur des cycles longs, notamment pour construire un tel projet.

J’ai envie de faire partie de ceux qui proposent des solutions concrètes et innovantes. Par le passé, j’ai pollué et quelque part, je le regrette mais le but est de donner un nouveau souffle à la voile et montrer, qu’aussi, dans l’entreprise, on peut faire différemment et être performant.

Sur mon bateau en 2020, j’ai récupéré des foils mis à la poubelle par une autre équipe.

Imoca Time for Oceans

Sur une course au grand large, avez-vous l’impression de défier les autres ou de vous défier vous-même ?

J’ai pas l’impression de défier les autres. Battre quelqu’un, en soit, n’a aucun intérêt. Les autres créent une émulation qui fait qu’on va se dépasser. L’intérêt du sport est de s’interroger pour donner le meilleur de soi-même. Si je fais une transat et que je suis tout seul, j’ai l’impression d’être le champion du monde mais ça n’a pas d’intérêt. Dans la course, on est des obsédés de pousser nos limites. Gagner une course sans mérite, ce n’est pas satisfaisant. Mais parfois, on peut avoir un classement plus mitigé, avec un bateau plus difficile mais en ayant fait une super trajectoire et le sentiment d’avoir tout donné, tout utilisé. C’est très satisfaisant.

Que pensez-vous du fait que sur la ligne de départ, tous les bateaux ne soient pas également équipés ?

Ça c’est à l’image du monde, je pense qu’on peut en penser deux choses, soit on a tous le même bateau, on court en monotypie et il n’y a que le skippeur qui compte, donc c’est très valorisant. Mais je trouve que l’avantage des courses IMOCA, c’est que ça permet le développement architectural. On peut aussi voir que la course commence avant la course dans le développement des bateaux. Dans ce cas, les meilleurs sont ceux qui développent le meilleur bateau. Mais clairement, si Yannick Bestaven avait couru avec mon bateau, il n’aurait pas gagné. Il ne pouvait pas gagner. Ça ne veut pas dire que moi, avec son bateau, j’aurais gagné. Je pense qu’il aurait fait au maximum 7ème car mon bateau était moins bon.

Ca soulève un autre problème, c’est que la presse ne s’intéresse qu’aux meilleurs. On avait l’impression que le Vendée Globe se jouait entre trois personnes. Ça fait trois ans que ce sont les mêmes qui gagnent. Cela fait que moi je ne peux même pas jouer contre les meilleurs, ils sont au-dessus. Sur d’autres courses, avec d’autres bateaux, je pouvais jouer avec eux, sur Imoca, c’est clairement pas possible.

Imoca Maître Coq (Yannick Baestaven)

Quel a été l’impact du COVID sur votre Vendée Globe 2020 ?

Le Covid a eu un impact sur la préparation des bateaux du Vendée Globe 2020. Nous n’avons pas disposé d’assez de temps pour optimiser et fiabiliser nos machines. Nous sommes nombreux à n’avoir pas pu utiliser tout le potentiel de nos bateaux . J’ai été très impacté par l’implantation de foils en pleine période de confinement.

Certains chantiers étaient à l’arrêt. Que j’aie terminé ce Vendée Globe c’est un petit miracle. Et même, des bateaux performants auraient dû aller beaucoup plus vite mais la mauvaise connaissance du bateau, le manque de pratique a causé quelques problèmes à certains. En Australie, Charlie Dalin et Thomas Ruyant ont cassé coup sur coup leurs foils. Ils avaient une énorme avance. A quelques heures près, ils auraient bénéficié d’une météo incroyable et auraient pu gagner le Vendée Globe avec une semaine d’avance. Ils ont cassé quand il ne fallait pas et la météo ne leur était pas favorable et toute la flotte est revenue, ce qui a créé un regroupement. Avec les bugs de système météo, on va assister de plus en plus à des regroupements. Donc les nouveaux bateaux qui sont créés seront rapide et performants mais surtout, ils seront rapides sans les foils. Car la météo est trop instable pour utiliser ses foils.

A titre d’exemple, le bateau Charal, il va environ 25% plus vite que mon bateau. Dans le grand sud, il est seulement allé 2% plus vite. On a fait tout le Pacifique ensemble alors que sur le papier, il me met une volée. Il n’arrivait pas à pousser son bateau.

Imoca Charal

 

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